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vendredi 18 avril 2008

Developpement durable et consommation

Qu'est-ce que le développement durable ?

Par Jean Marc Jancovici (extrait de www.manicore.com)

La première réponse qui vient à l'esprit, tant les traductions qui s'en réclament sont actuellement nombreuses, pourrait être "un concept à la mode".

Il existe certes une définition communément admise au "développement durable", imparfaite traduction du terme anglais "sustainable development" (développement "soutenable"), qui est celle-ci : "un développement qui satisfait les besoins de la génération actuelle sans compromettre ceux des générations futures". Cela part assurément d'un bon sentiment de souhaiter l'épanouissement de tout le genre humain, présent et à venir, partout et tout le temps, mais, prise au pied de la lettre (et sinon quel sens lui donner ?), cette définition n'a malheureusement aucune portée opérationnelle, en ce sens qu'elle ne fournit de réponse objective ou d'aide à la décision dans aucun domaine où il existe des limites physiques.Il est par exemple rigoureusement impossible de définir les besoins des générations présentes de manière univoque, et par voie de conséquence la quantité d'énergie nécessaire qui y correspond.

Avons nous "satisfait nos besoins" depuis que notre espérance de vie a dépassé 40 ans ? Où faudrait-il attendre que chacun d'entre nous vive 120 ans pour que nous nous estimions repus ?

Avons-nous "satisfait nos besoins" lorsque nous disposons de 10 m2 chauffés par personne, ou cela sera-t-il le cas uniquement quand tout terrien disposera de 150 m2 chauffés, plus un jacuzzi et un sauna privé par personne ?

Avons-nous satisfait nos besoins lorsque chaque terrien dispose de 0,5 tonne équivalent pétrole d'énergie (niveau d'un Indien, en gros), ou est-ce que 7 tonnes équivalent pétrole par habitant de la planète (niveau d'un Américain) ne correspond toujours pas à cet état de plénitude ?

Avons nous "besoin" de prendre l'avion 1, 50, ou zéro fois au cours de notre existence ?

Avons nous "besoin" de manger 20 kg de viande par an (consommation d'un Français en 1800), ou 100 kg par an (consommation de 2000) pour être heureux ?

Avons-nous "besoin" d'avoir 1, ou 10 cadeaux à chaque anniversaire ?

Avons nous "besoin" de zéro, une ou deux voiture(s) par ménage ? Or la production de toutes ces denrées requièrent de l'énergie (même pour la viande : il faut plus de 4 kg d'hydrocarbures pour produire un kg de veau).

Il faut bien admettre que c'est la notion même de "besoin" qui, passés les besoins vitaux (boire, manger, dormir, se protéger du froid et des prédateurs, perpétuer l'espèce), sur lesquels il est à la rigueur possible de s'accorder, ne correspond à aucune consommation de ressources précise : aucune aide pour fixer un objectif ou une limite n'est donc fournie par l'énoncé du développement durable, et, partant, aucun niveau maximum de consommation d'énergie.

Dès lors, de quelle utilité peut bien être ce concept pour nous aider à gérer notre avenir énergétique, qui s'inscrit nécessairement dans un monde fini, donc contraint par d'innombrables limites ?

Enfin, depuis qu'il existe des hommes, "besoins" individuels et "besoins" collectifs sont volontiers antagonistes, et le "développement durable" ne nous fournit alors pas l'ombre d'une solution pour arbitrer entre les deux. Au nom de considérations sociales et économiques, nous avons "besoin" de garantir à tout le monde le droit de rouler en voiture, ce qui supposerait un niveau élevé de consommation d'énergie, mais au nom de considérations environnementales nous avons aussi "besoin" d'émettre de moins en moins de gaz à effet de serre, ce qui est difficile à envisager avec la mobilité actuelle, et supposerait plutôt une baisse de cette même consommation. Où est la solution pour choisir entre les deux dans l'énoncé du développement durable ?

Voilà pour le présent, mais il est tout aussi impossible de faire correspondre à cette définition du "développement durable" un état particulier du monde futur.
D'abord, quel horizon de temps associe-t-on au "futur" ? Le "développement" actuel, c'est à dire, en clair, la prolongation des tendances, doit-il être "durable" (ou soutenable, peu importe) pendant au moins 10 ans ? 50 ? 2 siècles ? 3 millénaires ?
Ensuite il est tout aussi ardu de définir de manière univoque un monde permettant à nos descendants de "satisfaire leurs besoins". Si "quelqu'un" avait demandé aux Français de 1600, qui étaient, pour l'immense majorité, des paysans vivant dans une chaumière à une ou deux pièces, ayant une espérance de vie à la naissance de 20 ans environ, ne se reposant qu'un jour par semaine au mieux, n'ayant jamais de vacances, dont une fraction variable mourrait de faim et de froid chaque hiver, à partir de quand les "besoins" étaient satisfaits, je doute que nous aurions obtenu la même réponse que ce qu'un Français "moyen" (même très moyen) proposerait aujourd'hui....

Ainsi, non seulement il n'existe pas de réponse unique à ce que sont les besoins des générations présentes, mais encore savoir ce que seront les "besoins" des générations futures me paraît être parfois un exercice assez proche de la divination ou de la lecture dans le marc de café : si nous avons suffisamment détérioré le monde d'ici là, peut-être que de mourir à 40 ans après avoir mangé à sa faim sera le seul niveau d'exigence de nos descendants en 2150, mais si le miracle énergétique est arrivé, peut-être que chacun ne sera pas satisfait à moins d'avoir fait le tour du Soleil en navette spatiale pour ses 20 ans....

Une autre caractéristique du "développement durable" rend particulièrement délicate l'utilisation de cette notion comme référent.
Il s'agit de la propension qu'ont nombre de personnes à considérer que telle évolution négative sur le plan environnemental est compensée par telle évolution positive sur le plan économique, c'est à dire que l'on peut additionner deux grandeurs de nature différente pour parvenir à quelque chose de neutre. En gros, après que mes instituteurs m'aient, toute mon enfance durant, défendu d'ajouter des cacahuètes et des choux-fleurs, voici que le "développement durable" me propose d'additionner des émissions de CO2 en hausse mais moins d'enfants de moins de 10 ans au travail, de multiplier cela par l'éradication des métaux lourds dans les sols et la croissance du bénéfice de Renault, de diviser ensuite par l'augmentation de l'espérance de vie des Africains et l'arrêt de la déforestation en Asie du Sud Est ? Comment gérer un tel "machin", comme l'aurait sûrement appelé un illustre personnage historique ?

En outre, être "durable" ne signifie pas nécessairement être idéal : on peut très bien faire perdurer les inégalités sociales indéfiniment, par exemple, comme l'histoire en atteste. Je ne connais pas un exemple d'égalité parfaite entre membres d'une communauté animale ou humaine dans le monde, mais cela n'a jamais empêché les organisations de pouvoir durer ! La "durabilité" ne peut pas plus être rapprochée aisément de la notion d'équité, qui est souvent chère au coeur des hommes : une société équitable peut signifier ici qu'aucun enfant de moins de 8 ans ne travaille, mais là simplement qu'il n'effectuera pas de travail pénible, ici que l'écart salarial entre ouvrier et PDG est de 1 à 10, quand là on se contentera de 1 à 100, etc. Où est la norme ?

Enfin, en matière économique, troisième pilier du "développement durable", il y a encore moins de définition d'un PIB ou d'un chiffre d'affaires durable...Force est de constater que le "développement durable", aujourd'hui, est selon les circonstances, une auberge espagnole, où chacun met très exactement ce qui l'arrange, un voeu pieu, ayant peut-être vocation à remplacer le communisme au rang des idéaux de société, une escroquerie intellectuelle, présentant comme compensables des évolutions qui ne le sont pas, un parfait exemple de schizophrénie, réclamant tout et son contraire, ou encore...un dialogue de sourds, faute de disposer d'un langage commun.

Voir aussi ECOLOGIE et CONSOMMATION

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